15 ème Article question - Echelles multiples - ruptures de registres - bien souvent l’exemple du tissu
Mardi 27 janvier 2009Echelles multiples - Ruptures de Registres ? - Cet article reprend les propositions du Cahier III au chapitre 4 . Certaines ont évolué ou se sont simplifiées en serrant de plus près la question et même l’actualité, elles changeront encore. La question se pose en bien des domaines mais c’est constamment la réalité du tissu et sa place dans notre vie qui me donne l’éclairage.
Les merles sont des oiseaux trop lourds et trop gros pour les feuillages qui les portent dans les haies, ils les font se balancer exagérément, ils ne sont pas à la bonne échelle, l’échelle des feuilles de charme, de noisetier, de troène, surtout de troène. C’est un exemple de rupture ou distorsion d’échelles. Surtout si survient une mésange bleue pour rappeler à un juste rapport d’échelle avec les feuillages.
Mise en ordre à différentes échelles d’organisation - mottes de terre et motifs du tissu. Problème de changements d’échelles suivis au plus près. Des mottes de terre indécises et l’insignifiance des motifs des tissus ? Mottes de terre mises en ordre à notre échelle par les labours puis dans le champ de blé ; l’ordre vient alors, depuis l’indistinct de la terre, dans l’organisation des tiges de blé en compte innombrable et de leurs épis aux grains eux aisément comptables, on a plusieurs fois complètement changé d’échelle. Motifs d’un tissu : beaucoup n’y voient “qu’une effervescence insignifiante qui n’est pas plus qu’une motte de terre indécise et douteuse au bord de l’ornière, laquelle évidemment ne figurera pas à l’échelle d’un plan ou d’une carte sur un itinéraire d’ensemble”, à une échelle beaucoup plus réduite que celle du regard sous nos pas ? - Cette effervescence insignifiante est celle à quoi m’a semblé, d’abord, se limiter le jeu des motifs sur le tissu quand j’ai commencé à m’intéresser au monde du tissu. Si peu de chose, comme la plupart des gens le diraient aussi si on leur demandait de s’exprimer verbalement là-dessus. J’étais loin de compte sur l’organisation des motifs .
Mais quelque chose m’avait certainement frappé concernant l’échelle selon laquelle on approche le plus immédiatement les réalités, ici les motifs. Venant de la structure du tissu, surface ou plan, de ses fils et des fibres, à peine perceptibles à l’œil nu, qui la composent, il y a l’ordonnancement régulier de ces motifs répétés sur l’ensemble de la pièce d’étoffe . Quatre échelles ou trois : 1- celle des croisures fils et des fils, 2- celle des motifs, 3 -celle de la pièce d’étoffe déployée, à quoi l’on peut opposer 4 - vers le plus petit, l’échelle presque microscopique des fibres composant les fils … J’avais dès ce moment-là, donnée par l’habitude du tissu, l’indication de l’intérêt et de l’importance des problèmes d’échelle. Lesquels apparaissent de plus en plus aujourd’hui comme des problèmes décisifs.
C’est évident, en lecture multiperceptive, la structure tissée établit sa cohérence par compte et nombre, depuis le nombre de ses fils rigoureusement comptés, mais aussi par changement d’échelle de nombre à nombre ou ordre de grandeur à ses différents niveaux d’organisation. 12/08/06
Le Tissu - les tissus biologiques et la terre- Les tissus, si près de nos tissus biologiques, s’offrent comme modèles d’approche vers ceux-ci. Si l’on veut parvenir à se représenter le vivant dans toute sa réalité, il est indispensable de saisir le vivant simultanément à ses différentes échelles, lesquelles correspondent chacune à ses différents niveaux d’organisation; le tissu nous aide et nous engage sur cette voie parce que d’emblée il se révèle à la vue et au toucher dans son unité à différentes échelles, aux différents niveaux d’organisation de ses composants, macromolécules polymères, fibres, fils, pièce entière, avec en plus éventuellement les échelles différentes de ses grands et petits motifs.
- Il n’y a que la terre fraîchement remuée (mouillée ou non) pour avoir à l’oeil nu, sans aucun grossissement, un aspect similaire; ce qui dans nos représentations les plus habituelles - de même que le tissu se rapproche du corps - a toujours rapproché le corps de la terre, où il retourne mort (du moins pour les peuples inhumants). Les composants minéraux de la terre sans doute sont inertes, mais certainement la couche arable et l’humus contiennent d’innombrables bactéries qui sont du vivant,d’une bien autre échelle, plus d’innombrables déchets organiques qui eux sont à l’échelle de nos tissus vivants.
Comment trouver le raccordement entre l’incroyable simplicité des tuyauteries de notre vie « organique » selon notre perception immédiate, parfaitement cohérente tant que la vie dure, et l’extrême complexité de la vie au niveau des cellules, des molécules, de nos gènes et des agencements neuronaux de notre cerveau ? Simplicité « organique », d’une part, que nos sensations, plus anatomie et physiologies pratiques, nous rendent perceptible de façon au moins approchante, et, d’autre part, complexité immense au niveau de la vie moléculaire qui n’est pas à la portée de nos sens et guère perceptible. Enorme distance et apparemment discordance d’échelle entre ces deux dimensions de la vie. Alors rupture d’échelle, rupture de registre ? - La discordance de dimension et de complexité entre une part et l’autre de notre réalité vivante rappelle l’importance décisive du problème des changements d’échelle . S’y habituer. Le plus remarquable est qu’il y ait « cohérence organique » entre les deux niveaux cités ici dans la vie de l’être. Seule la première part, tuyauteries simples, formes externes et internes du corps et de ses organes, parvient à notre perception, y compris ce que nous en donnent nos sensations interoceptives . L’autre part suppose toute la longue édification de la connaissance scientifique par des appareillages scientifiques, un connaissance donc indirecte et différée …à une tout autre échelle et à la portée seulement des chercheurs . - La vie même, en train de se constituer - dans la gestation de l’enfant et l’organisation progressive de ses composants biologiques, gènes, cellules, organes, formes du corps entier qui va naître -, elle s’offre dans son unité dynamique à la vue et au toucher à différentes échelles, selon ses différents niveaux d’organisation, jusqu’à ce qu’on appelle « l’échelle humaine » de la personne entière.
ambiguïté d’échelle des motifs sans rupture de registre
Fils et fibres - Acariens et bactéries . Rupture de registres - rupture d’échelle ? Pour le tissu il semble tout de même exister une certaine rupture structurale et « de registre » quand on passe des fils aux fibres (du comptable au non dénombrable), il y a là dans nos perceptions une limite au-delà de quoi on peut croire aussi à une rupture de registre/rupture d’échelle, les deux à la fois. Mais plutôt retenir qu’il y a simplement simultanéité de différentes échelles car la cohérence est totale entre ces deux niveaux d’organisation du tissu, fils et fibres. En fait le plus souvent quand il y a une rupture d échelle, il n’y a pas forcément une rupture structurale de registre, les passages restent possibles. Cependant quand l’anthropomorphisme règne, des questions se posent. Ainsi quand on passe de la reconnaissance des formes de notre corps, de celle des formes dans le monde animal encore reconnaissables par nos sens avec pattes, yeux, corps et qu’on va jusqu’à celles des acariens qu’on ne peut plus qu’à peine percevoir, formes à peine vues, cela nous dérange, il y a là un seuil…. A beaucoup plus petite échelle, bactéries et bacilles, non visibles sauf au microscope (beaucoup plus grossissant que pour les acariens), ne nous dérangent plus du tout. Il n’est plus question de reconnaître dans les formes de ces microorganismes quoique ce soit d’analogue à celles du corps humain qui est notre référence catégorique, ni membres, ni yeux, ni tête, ni abdomen. Avec ce saut, on est apparemment en rupture d’échelle/rupture structurale de registre et cependant, dans le domaine du vivant comme dans le domaine du tissu, dans l’entre-deux ce n’est pas le rien, ni le vide, la cohérence est entière dans ce bio-système. Le trouble naît de notre anthropomorphisme dérangé. Ce trouble n’est pas qu’une question d’échelle, il s’y mêle nos réflexes de défense organique. Allons plus loin. Les bactéries présentes dans le corps ne sont pas dangereuses pour l’organisme tant que celui-ci a toute son intégrité et toute sa santé (fonctions d’épuration en particulier dans la digestion et le tube digestif). Ces microorganismes ne deviennent dangereux que si l’équilibre de la santé, la cohérence de notre organisme est en cause et qu’il leur laisse franchir ses frontières internes. On peut reconnaître là une abolition négative de l’entre-deux plutôt qu’un effet de rupture d’échelle. Ajouter que bactéries et acariens, les deux ne sont pas vus d’un même œil : les acariens ne sont pas des nettoyeurs mais plutôt des prédateurs : même s’ils s’alimentent de peaux mortes, ils sont des parasites gênants. Mieux vus contre mal vus si l’on peut dire : les bactéries à des échelles franchement microscopiques sont vues d’un œil plus favorable, et naturellement les acariens sont vus d’un très mauvais œil parce qu’ils ont le tort d’être juste un peu en deçà de la limite d’échelle du directement perceptible. C’est ce qu’on peut appeler « un effet de seuil », rien de plus.
- La connaissance que nous avons maintenant de la vie et du rôle des bactéries (y compris dans « la fiente de nos viscères » , une expression d’ Odon, deuxième abbé de Cluny , IXe - Xe siècles, prêchant le dégoût du corps) nous mène à la même échelle que celle de nos neurones, et en même temps à la même échelle que celles des composants miniaturisés de l’ordinateur ( et de tout les systèmes électroniques des produits Hi-Tech ), à des nombres du même ordre de grandeur . Et cette connaissance nous permet d’approcher plus volontiers, autrement, le rapport entre la conscience et le vivant, sans être désormais retenu par aucune rupture de registre entre les deux , d’autant plus que cette connaissance progresse en biologie avec l’aide de l’ordinateur.
Un risque positif - Attention ! au changement d’échelle il y a risque de vertige et pas seulement dans l’espace, également dans la durée . Pour les échelles du temps, le changement d’échelle est souvent refusé, ce qui donne au seuil pour nos mémoires et nos histoires buttées et ruptures de registre . De même au seuil peuvent surgir des » « entités métaphysiques ». A notre époque ce sont aussi des « glissements » qui se produisent : dégâts à craindre, perte de repères et ces glissements n’ont guère de valeur structurante ni cohérence . Obama se réfère aux « pères fondateurs », des USA, il tient à ce repère, il admet la propagation d’une métaphysique religieuse, le risque se tient tout entier dans le leadership US qu’il maintiendra, il n’aura pas d’infaillibilité , mais il aura fallu ce risque, il peut être l’agent d’adaptation au changement d’échelle dans l’espace et dans le temps, du national au mondial, son pas arrière s’ouvre, c‘est presque sûr, sur une Modernité non close, « avant - arrière ».
Echelles mutiples - Ambiances - souvenirs d’enfance -Tissu - Du fait que le tissu, ses plis et replis se lisent au moins à deux échelles - ample l’une, celle des plis et du tissu entier, l’autre très près du très petit détail et de l’innombrable, celle des fils, des croisures de fils -, il nous donne, entre le mesurable, le précisément comptable et l’immense, l’équivalent d’un sentiment d’ambiance et les enfants y sont particulières sensibles. L’exercice, la gymnastique, de saisie simultanée d’échelles différentes que permet le tissu n’est pas d’une autre nature que l’addition - dans les souvenirs d’enfance remémorés - de la prise des plus petits détails par l’enfant dont on se rappelle le sentiment toute la vie durant (1ère échelle) et de la pratique adulte et quotidienne au présent d’une prise/connaissance/expérience selon un beaucoup plus grand rayon d’action par notre personne adulte (2ème échelle). - C’est autant dire et relever qu’un certain non mesurable, malaisément situable dans l’espace et le mouvement de la lumière, est le fait des ambiances .Il n’y a cependant pas là de rupture de registre. - Les jeux d’échelles différentes et simultanées ou la simultanéité d’échelles différentes font vivre ce genre de passage.
Deux Illustrations - Sur les pouvoirs d’extension et de continuité du tissage dans une parfaite ambiguïté d’échelle et de situation.
- Quelque chose d’un vertige des hauteurs
Ici 5 échelles différentes se trouvent conjuguées, échelle de la serviette ou de la nappe entières (1)
plus celle des croisures de fils (2), plus celles des différents carreaux de la serviette (3 , 4), plus celle des carreaux de la nappe (5 )
Le tissu nous habitue à percevoir simultanément des échelles multiples. Sans aucune rupture de registre, au contraire dans une complète intégration. Ainsi les plis imprévisibles que peut former un drap de simple toile deviennent dans la même perception les équivalents de très grands reliefs, parce que nous pouvons les ressentir comme rendus à l’échelle de l’immense par leur mise en rapport directe de composition avec la très petite échelle des croisures de fils de la toile dont ils sont faits, croisures parfaitement visibles, en comptes innombrables, rigoureusement organisées dans la structure de son tissage. Quelque chose d’un vertige des hauteurs saisit alors la vue, cependant tout est très proche et s’offre immédiatement à la main et au toucher. 13/02/07
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- Regarde une touffe de foin vert sous le vent . A 6 mètres . Regarde un groupe de hauts frênes, plumeaux agités par le même vent . A 50 mètres, et hauts au dessus du pré . Mêmes courbures, même allure, et les épis vert doré, sur plus sombre, sont comme les houppes finement dessinées des feuillages aux hautes ramures des frênes d’un jeune vert. A peine si celles-ci se chargent plus réellement d’ombre dans la lumière du ciel. C’est seulement la distance, l’élévation, la taille qui les distinguent des foins. Mais je peux concevoir les uns et les autres tissés et rassemblés sur la bordure d’un même châle. Le modèle pourra être indifféremment ou le bouquet d’arbres ou les touffes de foin. L’un vaut l’autre en tissage. Par ces pouvoirs miraculeux d’extension et de continuité qui sont ceux du tissu. Le tissage passerait aisément de l’un à l’autre, rejoignant le près et le loin, le grand et le petit, dans une parfaite ambiguïté d’échelle et de situation. Telles sont les propriétés du champ tissé.
Châle de soie à décor tissé - Angleterre, début du XIX e siècle
- Dans les bordures de ce châle il se joue « une partie à échelle variable », comme dans le jardin d’Alice au pays des Merveilles. Chacun des grands motifs gerbés du châle conduit notre sentiment dans un constant aller et retour depuis les grandes fleurs du bouquet vues de très près, en claires luminosités blanches, beige doré, mauve, rouille orangé, rouge pâle, jusqu’aux panaches en bordure de gerbe, travaillé par le liseré du tissage en de nombreux détails semblant d’ échelle réduite (par rapport aux fleurs), vus comme à des lisières dorées et lointaines au bord de l’ombre des bois, vers le champ central du châle beaucoup plus sombre. Dans une extension parfaitement cohérente, parfaitement continue du tissage, motifs en sergé clair se déployant sur le satin profond des intervalles, vers ce champ central immense et libre. (v. Le Langage du Tissu pp. 376 et 387)
Patrice Hugues