5ème Article - Cycles de civilisation et métamorphoses de l’évolution
Dimanche 23 mars 2008 Lire l’enchaînement des cycles de civilisation et les métamorphoses de l’évolution
Cet article-ci fait suite à celui que vous avez déjà reçu intitulé « le Temps des hybrides » (v. le1er article /question), cette fois encore les bases de la discussion se trouvent aux chapitres 1 et 8 du Cahier III . Dragons et Anges sont ici ce qui nous occupe. Quelle continuité entre les restes des dinosaures et les dragons des légendes ou les Anges de nos croyances ?
Pour résumer cela nous mène des dinosaures jusqu’aux tapisseries de l’Apocalypse d’Angers, soit de – 65 millions d’années au minimum jusqu’aux années 1370/1380 entre Paris et Angers quand ces tapisseries ont été conçues et tissées.
Les paléontologues nous disent qu’en dépit de la disparition des dinosaures en tant qu’espèce, à la fin du crétacé, il y a environ 65 millions d’années, à partir d’eux s’est poursuivie une évolution (1). En second lieu ils décrivent comme avérée l’évolution qui a mené via l’apparition des différentes espèces d’Archéoptérix descendant des dinosaures jusqu’aux collections d’oiseaux actuelles .
Les dragons ont ils existé suivant cette ligne d’évolution ? Et les Anges ? On serait tenté de dire: sûrement pas et sûrement pas suivant cette ligne ? Voire .
Les dragons de Kommodo ou les varans des Galapagos, des espèces très rares sur la planète, ou les plus grands crocodiles actuels nous font penser aux dinosaures ; ils peuvent être pris comme des mémoires de rappel derrière les légendes. Les légendes/dragons peuvent de leur côté être considérées comme les produits de notre sous-cerveau reptilien, la partie de notre cerveau la plus archaïque . – Pourquoi pas les deux fonctionnements se rejoignant dans l’origine de ces légendes sur le Dragon: reptiles, sauriens fossiles et sous-cerveau reptilien ?
Mais les Anges, alors ? Se placent-ils entre les restes d’Archéoptérix et les oiseaux d’aujourd’hui ? Ils sont assurément le fait d’une élaboration légendaire par la tradition religieuse issue d’un sentiment dualiste de la création . Que doivent-ils à l’évolution, au titre de la science ? De même que les Dragons, les Anges ne doivent-ils pas être pris comme témoins de la même longue évolution ? Les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers fournissent des indices dans ce sens .
On sait que les dragons de l’Apocalypse de Jean (vers 80-90 ap. J.C.) se référaient explicitement aux Kéroubs /Chérubins, ces monstres « du temps des hybrides », ces « gardiens » dans la Bible. Dans les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers le dragon contre lequel lutte l’Archange St Michel nous semble, lui, procéder presque directement d’un souvenir paléontologique des dinosaures et d’archéoptéryx . En plus de son immense queue qui rappelle celle des dinosaures, les ailes de ce démon dragon sont semblables à celles des chauve-souris et procèdent peut-être justement du souvenir inconscient de l’archéoptéryx. Tandis que les ailes des anges, qui sont une affaire exclusivement d’occident (”indo-européenne”, selon G. Dumézil), sont de vraies ailes d’oiseaux, comme si les anges procédaient d’un stade plus avancé de l’évolution. L’archange cloue le dragon à terre . L’énigme relève ici d’une sourde opposition entre les options fondamentales de civilisation de l’Occident, et celles de l’Orient. En Occident le Dragon est mis à terre par l’Archange victorieux. Le Dragon est tout à fait l’opposé de l’Ange. L’option est radicalement dualiste, le Bien contre le Mal. Tandis qu’en Chine où le dragon au contraire a pu être le symbole de l’empereur, son animalité n’est pas contrée, il exprime l’unité avec la nature même dans ses débordements (1) .
Apocalypse d’Angers ( fin XIVe) St Michel cloue au sol le dragon
L’enchaînement des Cycles - Ces hypothèses deviennent particulièrement convaincantes dès lors qu’on lit les cycles de l’évolution et des civilisations . Dans les Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers, ces cycles de civilisation y sont présents, générés les uns par les autres : 1) Dragons et Anges peuvent se rattacher d’abord à des fossiles paléontologiques dont le souvenir (via sans doute l’archéoptérix) s’est trouvé entretenu d’une façon ou d’une autre.- 2) - ils sont un rappel du « temps des hybrides » des passés mythico-rituel, des Kérubins androcéphales assyro-babyloniens jusqu’à ceux de de la Bible, entre dragon et anges.- 3) Sont présents Jean et l’Apocalypse, ses visions du temps des persécutions contre les premiers chrétiens ( vers 80-90 ap. J.C.), les Anges servent le bien, le Dragon c’est le mal .- 4) Ensuite il y a eu cet Apocalypse d’Angers tissé en tapisserie au XIV° siècle d’après l’Apocalypse de Jean, et où tout se trouve rassemblé dans une sorte d’hybridation des temps cette fois. Jean présent sur chaque tenture est le reporter de cette enchaînement des cycles de civilisation. Des chevauchements et rattrapages mémoriels, des métamorphoses sont le propre de l’évolution dans la mémoire culturelle, laquelle a son propre temps, un autre temps que celui de la succession des périodes archéologiquement et historiquement datables, un temps sans fond vers le passé.
Apocalypse d’Angers . Deux hybrides face à face, l’ Ange et le dragon-démon. On a même ici un hybride au second degré : selon Jean la femme pour échapper au dragon reçoit des ailes d’ange.
Dante et le temps des hybrides - Que signifient-ils par eux-mêmes, ces chevauchements, par exemple comme générateurs du fantastique ? Pour Dante, dans la Divine comédie ( v.1300/1310)– au XXIe chant du Purgatoire- , ils sont comme un rappel à la dimension du temps de la Création ; mais tout autant, sans que ce soit explicitement dit dans ses vers, des indices des métamorphoses engagées « à l’avant (ou en marge) de la Création », autrement dit comme des faits de l’évolution, comme des faits du temps des hybrides prolongé. Au XXIXe chant du Purgatoire, c’est un Griffon (tête d’aigle, deux ailes immenses, membres d’oiseau couleur d’or, corps de lion) qui tire le char triomphal : « la Bête qui est une seule personne en deux natures (v.108-117) » ; Jean de l’Apocalyse est là aussi et les quatre animaux, qui sont bien les souvenirs des Kéroubs/ Chérubins de l’Ancien Testament, chacun empenné de six ailes, les plumes pleines d’yeux .- Au chant XXXI(v.117-126) on retrouve le griffon dont Dante voit l’image se refléter dans les yeux de Béatrice : « Mille désirs plus brûlants que la flamme attachèrent mes yeux aux yeux resplendissants qui se tenaient fixés sur le griffon. Comme le soleil dans un miroir, ainsi la double bête y rayonnait tantôt en une forme tantôt en l’autre. Pense, lecteur, si je m’émerveillais quand je voyais la chose être immobile en soi et se transmuer dans son image ». (v. 117-126). Ici je suis volontiers Jan Assmann et ce qu’il entend par « mémoire culturelle »(2). Ce rappel étonnant du temps des Hybrides par Dante, (vers 1310-1320) indique bien le mode de transmission et de prolongation d’un passé très lointain, celui du temps des hybrides (d’environ trente siècles plus tôt) avec métamorphose de son sens religieux dans « la mémoire culturelle » de Dante, au point qu’il rattache implicitement la double nature du griffon, de l’hybride, à la question si délicate de la double nature du Christ, à la fois Dieu et Homme.
Admettra-t-on qu’il n’y ait pas rupture de registre ni rupture de continuité entre 1) - les temps paléontologiques des dinosaures et d’archéoptérix , 2) - le temps des Hybrides de la haute antiquité, et finalement 3) - la venue des dragons et des anges de nos légendes ? Les indices à trouver de cette continuité sont à lire jusque dans les cycles contemporains, à condition évidemment de décrypter parmi de nombreuses incidences celles des religions et des options fondamentales prises par les différentes aires de civilisation sous des formes évolutive qui, même opposées, ont pu être en interaction d’une aire à l’autre dès leur plus lointaine antiquité.
Patrice Hugues
(1) Figure des confluences, le dragon c’est aussi les crues dévastatrice des grands fleuves indomptables.