25 ème article - Entre concret et abstrait - octobre 2012
“Comme le tissu”
- Modification radicale du rapport entre concret et abstrait dans un monde désormais immergé dans la technologie, on peut même dire submergé par la technologie. L’essentiel est aujourd’hui sous dominance technologique. Les dominances spirituelles et purement intellectuelles de « la Culture » perdent de leur pouvoir. (A la place, le numérique, l’électronique, l’ambiguïté d’échelle …).
On a le plus souvent sous les yeux avec les objets technologiques, une composition indissociable de concret et d’abstrait que l’on peut assimiler à la technologie elle-même.
L’univers technologique procède pour une large part d’approches abstraites, de calculs, de raisonnements mathématiques mais aussi d’expérimentations et d’applications concrètes, il n’existe que par les produits et objets tout à fait concrets qu’il met en service .
On est ici très près du tissu : le tissu s’offre au toucher concret et en même temps la structure tissée rigoureusement comptée, numérisée, relève d’une opération mentale abstraite; … c’est du même genre.
Le nouveau rapport qui s’établit entre « concret et abstrait » s’accorde avec les modalités Multiprises qu’implique le monde technologique. Ce monde technologique est un magma au contexte « multiprise » à la fois uniformisant et différencié dont nos facultés habituelles d’abstraction ne parviennent pas à se dégager ni à dégager des concepts philosophiques. Dans ce monde ces facultés d’abstraction sont inaptes, s’abolissent, se perdent… et les mots s’usent. Il n’en reste que les bases scientifiques et les mots techniques. Ce monde n’est ni seulement abstrait ni seulement concret. Entre les deux , en informatique est venu se placer « le Virtuel » mais parler « d’immatériel » déforme la réalité ; c’est ne pas avoir en tête que la domestication des électrons qui permet beaucoup de ces technologies relève de la pure Physique de la Matière ; c’est seulement qu’il s’agit là de réalités matérielles hors de la portée de nos sens, imperceptibles en direct .
Cette modification profonde du rapport entre abstrait et concret du fait de la dominance des technologies qui s‘établit à présent se retrouve avec évidence dans l’inaptitude des mots retenus en informatique pour désigner les moyens et signifier les fonctionnements : ils ne sont ni vraiment abstraits ni vraiment concrets mais mi abstraits mi concrets . Témoins les exemples suivants : Navigateur, portail, fournisseur d’accès, serveur, moteur de recherche …identifiant de connexion … mode intuitif … Dans leur emploi, ces mots traduits de l’anglais, on l’a vu, n’ont plus de rapport d’intelligibilité avec leur étymologie gréco latine. Cette modification du rapport entre abstrait et concret c’est aussi l’un des fondements du pragmatisme anglo-saxon. ( Il n’est pas dit que toute la planète endosse sans résistance ces modalités verbales, souvent ambigües et imprécises, générées par le monde des technologies)
Le contexte de l’activité mentale est maintenant tellement technologique (et Multiprise) qu’il est impossible aux concepts de s’en détacher pour pouvoir généraliser selon nos habituels processus d’abstraction . Témoins la confusion actuelle entre concept abstrait ou philosophique et concept ” design”, et le glissement de l’un à l’autre , sans qu’on y prenne garde . Le Multiprise n’est pas par soi-même une faculté de généralisation et d’abstraction.
On n’ imagine même pas le temps qu’il faudra à l’esprit, à la pensée, pour établir sa maîtrise sur cet univers technologique. S’il devait un jour en être capable, c’est que ce monde qui n’est ni abstrait ni seulement concret serait perçu comme un organisme (dont toutes les fonctions, tous les organes sont en interaction permanente). Le Multiprise ouvre des voies dans ce sens. (1)*
*(1)- l’Art conceptuel est à la charnière entre concret et abstrait dans leur nouveaux rapports sous dominance technologique. Il est bien entre concept philosophique (idée) et concept design( réalisation) mais cette position est périlleuse et forcément instable .
La pensée verbale n’a pas cette dimension, elle-même s’use à chercher vainement à l’acquérir, à prendre cette dimension, sans trouver d’équivalents. Le Multiprise la met peut- être sur la voie. Mais sans doute plus pour un étalage, une reconnaissance, un recensement, une tabulation …technologique. Une conscience avec ça ?
Quelle forme de conscience ? Que devient la conscience ? Une conscience dispersée, une somme de connaissances technologiques très propices aux emplois et glissements publicitaires de la communication avec quoi tout peut déboucher sur le vide et même choir dans le vide
Sans possibilité aucune d’une véritable cohérence de la conscience, interviennent alors des figures de substitution. Celles-ci sont toujours un appel et signalent en général un manque.
Patrice Hugues