16ème Article question - La lumière, le tissu et le miroir
La lumière est ce qu’il y a de plus cosmique dans nos perceptions . Pour cette raison les cultes solaires, on le comprend, ont souvent été au fondement des religions ( Egypte - Amérique précolombienne ….) . Cosmologiques, ces cultes donnaient les dieux dans la lumière se propageant dans l’univers.
Plus tard, au début de l’ère moderne, pour les artistes baroques comme pour les philosophes métaphysiciens et mathématiciens très croyants du XVIIe siècle, Dieu trouvera sa figure en même temps que dans la lumière dans l’incalculable des plis imprévisibles du tissu .
L’électricité des éclairs est donnée à nos perceptions sans que nous puissions percevoir qu’elle est aussi l’électricité qui en nous agit à vitesse comparable comme transmetteur de nos influx nerveux . Dans la zone « contact » des tissus avec le corps quand joue sur nous la lumière les deux se touchent, l’infiniment intime et l’infiniment loin, et c’est par où le courant passe, interférences internes externes. D’où tout l’intérêt qu’il y a étudier les rapports qui s’établissent actuellement entre tissu et électricité (1) . Contact ou Interférences , ce n’est pas la même chose : ainsi 1 - « contact » vaut assurément pour le tissu, le très proche, le rapport immédiat entre intérieur et extérieur et entre les êtres ,.. , très peu pour le miroir ; - 2 « interférences » vaut pour la lumière, les ondes, l’électricité, le très loin, les reflets , le miroir, très peu pour le tissu . - Les lumières électriques artificielles n’occupent pas cette zone « contact » comme la lumière naturelle. Elles sont contact et interférences.
(1) -Un jour on admettra que le désir sexuel dans son accomplissement est lui- même du domaine de l’électricité
De même est du plus grand intérêt l’étude de « toutes les lumières réverbérantes » qui du plus loin touchent le plus notre intériorité à proportion de leurs parcours cosmiques jusqu’à ces surfaces réverbérantes qui sont capables de rendre la lumière amortie reçue indirectement et d’en emplir en douce intensité toute l’atmosphère ambiante - Exemple la façade d’ immeuble qui reçoit sa lumière par réverbération de l’ immeuble d’en face de l’autre côté de la rue . Ces parcours de la lumière empruntent bien finalement pour gagner notre intériorité ces voies réverbérantes qui ont le don de nous transporter en plein mystère, pris sous leur charme. Réflexion indirecte, réflexion amortie, il ne s’agit pas d’un reflet au sens propre, mais de quoi alors ?. La peinture classique , religieuse ou profane, a bien souvent pris là son départ ou trouvé là sa résonance . De même la réflexion philosophique classique y a souvent trouvé ses figures, ses images . - Ainsi Leibniz prend-il la figure de “la maison sans fenêtre” et de l’Entre-pli, qui supposent lumière et tissu, pour définir l’entre-deux, le passage entre l’âme/intériorité et le monde/extériorité .
S’il s’agit du Miroir au lieu du Tissu, ces « passages » se présentent tout autrement, comme à l’inverse . Tandis qu’avec le tissu, au niveau du plus proche, du plus immédiat, celui de nos perceptions “ordinaires”, le trait d’union charnel-spirituel s’incarne et se ressent comme allant de soi dans la réalité que nous vivons à son contact, le trait d’union manque évidemment entre les deux usages du miroir les plus prenants dans la proximité. Ces deux usages sont en effet en même temps les plus opposés - “Miroir le plus charnel” (- Miroir, mon beau miroir, suis-je la plus belle ?) et “Miroir spirituel” (pur de toute tache et dans tout son éclat, il nous donne un reflet symbolique de la perfection spirituelle, voire de la perfection divine) . Entre les deux le trait d’union est impossible, ils se repoussent l’un l’autre . Où est l’incarnation du spirituel? En effet si la lumière et les reflets de la lumière que nous renvoie le miroir peuvent symboliser le spirituel, en revanche le corps reflété ne parvient pas à un niveau symbolique de cette portée (une exception redoutable : le cas de Narcisse) . Il n’a pas un statut pareil qui lui permette de s’unir à égalité à la lumière des rayons qui peuvent venir depuis l’infini, ou au moins de très loin, frapper le miroir “spirituel” . L’intégration est impossible .
Pour le miroir, c’est, au contraire du tissu, entre le niveau le plus étranger au vivant, le plus “inorganique inerte” (en ce sens le plus matériel) , appartenant le plus à la “physique” du miroir, à l’optique, et d’autre part son niveau le plus “mental”, le plus spéculatif (”le plus réfléchi”), que le trait d’union est le plus aisément établi . En effet dès que l’on pense au rôle des rayons de lumière, aux faisceaux de photons qui frappent le miroir et que celui-ci nous renvoie, dès qu’on se place ainsi au niveau des particules et de l’atome (photons-électrons), au coeur même du territoire de la “Physique”, on se place en même temps au coeur d’une démarche scientifique, de caractère purement intellectuel à partir de l’objet-miroir . Même si les deux curseurs - valeur physique et valeur spéculative - restent tout de même très à distance l’un de l’autre.
Lumière et corps n’ont assurément pas besoin du miroir pour se rencontrer et s’unir. Et en ce cas la lumière sensible joue physiquement avec le corps, de façon immédiate, et bien moins de façon symbolique. Or le tissu peut avoir directement sa place dans ce jeu, le miroir, non ou guère . Là le jeu des photons qui sont la lumière et ses reflets par le miroir, le jeu des particules de la physique n’ont pas à entrer en ligne de compte et n’ont guère à être analysés comme tels dans un jeu pareillement direct . Tandis que les fibres et microfibres qui composent les fils du tissu finalement ne doivent pas échapper à l’analyse dans le jeu direct du tissu avec le corps et ses tissus (2 et 3). Seule ressemblerait à ce jeu par contact direct, du côté du miroir, la légère chaleur éprouvée si le corps reçoit du miroir une lumière réfléchie assez intense et c’est tout de même par le jeu des photons. D’autre part quelque chose va changer dans le rapport du corps et du tissu avec la lumière à partir des fibres optiques qui vont pouvoir être tissées .
1 - tissu figuré en peinture
ou 2 et 3 - jeu direct du tissu avec le corps et ses tissus
Le tissu, lui-même, s’il entre dans ce jeu du miroir, s’il entre dans l’image réfléchie, ou s’il est figuré en peinture (1) comme dans un miroir (le tableau), il y perd une grande partie de ses pouvoirs, en tout cas son pouvoir d’immédiateté. Il échappe alors difficilement aux points de vue métaphysiques qui ont si longtemps prévalu, tissu agent du caché, du mystère servant le sacré. Mais les pouvoirs d’ambivalence du tissu (ici dans le jeu entre tissus figurés et tissus réels) sont tels que le trait d’union peut tout de même s’établir .
Avec le miroir, il n’y a pas semblable intégration des deux rives, le sujet et son image reflétée restent chacun de leur côté reliés seulement par la lumière sans vraiment pouvoir se rencontrer au niveau de l’immédiat . C’est à peine s’il est d’un quelconque intérêt de toucher le miroir. Le miroir ne crée aucun trait d’union, il crée au contraire la distance, la faille entre deux présences . Mais toutes les illusions sont possibles avec le miroir, plus ce que l’imagination s’invente de l’autre côté du miroir.
Patrice Hugues