19ème Article/question - Des Temples de Brahma et des Châles Cachemires, jusqu’au métier jacquard, au numérique, et même jusqu’aux fractals ….un Etonnant cheminement
UN ETONNANT CHEMINEMENT -
(Des temples de Brahmâ et des châles Cachemires, jusqu’au métier jacquard, au numérique et même jusqu’aux fractals)
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Je suis resté très longtemps dérouté par les monuments religieux de l’Inde , non pas par ceux du Bouddhisme tels les stupas (V e av.JC à VI e ap .JC env.), non, seulement par les temples et sanctuaires brahmanes hindouistes….- Pas vous ? Dérouté par le foisonnement des figures humaines, reprises sur plusieurs étages intercalées entre ce qui me semblait d’inutiles et innombrables étagements horizontaux de pierre, de la base au sommet des édifices que je ressentais comme toujours immenses et vertigineux . Et Siva dansant aux multiples bras ? Tout ça , qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Je savais certaines choses sur les chiffres que nous disons « arabes » mais qui nous sont venus de l’Inde transmis par les arabes et vraiment utilisés en Occident seulement à partir des XIV e -XV e siècles … J’étais, aussi, bien informé sur l’aventure des Châles du Cachemire du XV e au XIX e … J’ai bientôt remarqué que les palmettes cachemires de leurs bordures sont dans bien des cas, presque toujours, organisées selon plusieurs échelles, les motifs des châles cachemires européens se caractérisent encore plus manifestement par cette « ambiguïté d’échelle » ….
Dérouté jusqu’à ce que je retienne qu’il s’agit dans les temples brahmanistes de la même troublante « ambiguïté d’échelle » et que celle-ci est l’une des marques les plus fortes de la culture hindouiste et de la civilisation de l’Inde . C’est la connaissance du langage du tissu, ici des tissages des châles du Cachemire, qui m’a permis cette lecture beaucoup plus ouverte de civilisation .
Il y a eu à tout cela un point de départ tout à fait remarquable, ce sont les inventions numérales poussées très loin en Inde du V e .au VIII e siècle, les chiffres de 1 à 9, la base décimale, la règle de position pour les opérations arthmétiques, et le zéro ( peut-être venu de Chine). L’intensité de ce mouvement d’invention si décisif se trouve étroitement en rapport historique avec les changements qui surviennent presque dans le même temps dans le domaine de la religion, de la sensibilité , de la pensée. Tandis que le bouddhisme recule, au VI e - VII e, le védisme révisé (Vedanta) permet l’essor du brahmanisme-hindouisme. Un seul et même élan mental numéral affirme alors à travers Brahma la relation primordiale des hommes au cosmos, aussi bien dans les calculs des astronomes (tel Brahmagupta, astronome et mathématicien, qui rédige en 628 « le système révisé de Brahma ») que dans la construction des nouveaux temples hindouistes qui devaient en être la représentation. Ce qui est donc à noter là est beaucoup plus qu’une coïncidence, c’est une base nouvelle de civilisation . Cette tradition numérale est pour beaucoup dans le fait qu’aujourd’hui les informaticiens indiens, aisément passés maîtres du numérique, sont particulièrement demandés en Europe et dans le monde.
Je propose donc de reconnaître ici l’étonnant cheminement qui suit en parallèle :
- l’aventure des chiffres et des modes de numération et de calcul mis au point en Inde de la fin du Vè au VIIIé siècle
- et le sort significatif de cette ambiguïté d’ échelle si remarquable dans les motifs de châles du Cachemire comme dans l’architecture des temples hindouistes .
- en gardant toujours présent à l’esprit que la structure du tissu des châles et de leurs motifs, est « numérisée » en binaire, comme tout tissu depuis l’origine.
Ce cheminement parallèle a pris fin, dès que le métier jacquard, annonciateur de l’ordinateur et du numérique, eut en occident dépassé et épuisé les ressources des tisserands artisanaux traditionnels kachemiri; le fait est qu’il n’y a plus de tissages de châles au Cachemire à beaucoup près aussi remarquables aujourd’hui. Ce qu’on a pour accompagner cette ruine c’est la partition du Cachemire (1).
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(1) Et depuis des décennies c’est le plus souvent la guerre entre le Cachemire indien hindouiste et le Cachemire pakistanais musulman
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L’ambiguïté d’échelle et le nombre dans les temples hindouistes (VIII e -XIII e)
Le troublant avec les temples hindouistes est qu’on n’est jamais sûr d’apprécier correctement leurs dimensions vraies . La plupart du temps on les croit assez immenses , or la plupart du temps leur hauteur ne dépasse guère 20 mètres soit la hauteur moyenne de nos églises de village ou de beaucoup d’églises romanes . A noter qu’ils sont souvent exactement contemporains des dites églises romanes ou alors des cathédrales gothiques des XII e et XIII e siècles mais celles-ci sont sensiblement plus hautes que les temples hindouistes qui n’atteignent qu’exceptionnellement 30 m ; N.D. de Paris atteint 50 m, tours comprises, - Amiens atteint presque 60 m . On reste dans cette incertitude même dans le cas des petits temples de moins de 11m. En image on ne parvient pas à les croire petits (v.4).
2 3 ____________________________Parmi les temples les plus élevés : 1 du XI e, à Khajuraho le temple Kandariya Mahadeva ( Madia Pradesh) et 2 le temple de Lingaraja également de 30 à 31 m à Bhuvanesvara (Orissa) , ou aussi à Bhuvanesvara , du XII e 3 le temple de Rajarani, environ 30 m. de haut, avec ce vertige des temples miniatures autosimilaires sur le flanc de l’édifice de la base au sommet. Cliquez sur les images pour les agrandir
A quoi tient cette incertitude persistante ? Elle tient précisément à l’ambiguïté d’échelle des composants de l’architecture . Sur les côtes verticales de l’édifice, toujours ces innombrables étagements horizontaux de pierre, auto similaires dans leur forme générale, qui peuvent être d’échelles décroissantes en allant vers le haut de la sikhara. Mieux : certains temples (v.3) comportent de bas en haut sur leurs côtes verticales à de multiples exemplaires leur reproductions en miniature, des temples miniatures de taille décroissante jusque vers le haut de la sikhara, ce qui est vertigineux, et évidemment exprès . C’est exactement ça le pouvoir du recours à des échelles multiples, le pouvoir de l’ambiguïté d’échelle qui peut mettre le temple voué à Brahma hors toute mesure, en lien, en interférence avec le cosmos, mieux qu’aucune autre figuration du cosmos. Brahma est toute réalité , toutes dimensions, incommensurable.
__________________________- A Konarak (Orissa), 4 le temple du Soleil, 57 à 60 étagements horizontaux de pierre sur moins de 20 m. de hauteur totale.
Vient de surcroît la représentation d’innombrables figures humaines sculptées, autant féminines que masculines, entrelacées dans la relation amoureuse sexuelle (5 et 6 - détails de 1), dont l’échelle est celle des étagements horizontaux qui vont de la base au sommet, incertaine comme les leurs , rarement exactement « à l’échelle humaine » vraie, ne dépassant guère 1 m ou 1 m 20, échelle réduite qui insère les humains, à même régime que l’ensemble vertigineux de ces étagements, comme eux composants de l’univers, sauf qu’insérés entre les propagations rythmiques des étages sans figures , ces étages sculptés de figures féminines et masculines, ainsi comprises dans la chaîne des transmigrations, retiennent tout spécialement le regard et l’attention . Et tout cela bouge parce que tout est ainsi délibérément hors de portée d’un jugement assuré des proportions de la taille et du volume de l’édifice . C’est bien le branle universel cosmique qui est la vie, celle-ci évidemment en route dans les scènes érotiques des sculptures (1).
C’est à ce stade qu’on peut se persuader du rapport profond de civilisation des inventions numérales de l’Inde et de l’architecture des temples hindouistes que la religion de Brahmâ voit s’édifier à leur suite dés le VII e siècle, quand elle commence à supplanter le bouddhisme (v. les écrits postvédiques, le Védanta, et de l’astronome Brahmagupta déjà cité, en 628, « Le système révisé de Brahma).
(1) - le Khama Sutra qui suit tout à fait la même inspiration est écrit entre le IVe et le VIe siècle .
Mais quel rapport avec les Châles du Cachemire ?
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Les Palmettes cachemires et l’ambiguïté d’échelle
On peut s’étonner que dans le même article je m’occupe des Châles du Cachemire tout à fait à la suite des temples Hindouistes édifiés du VIII e au XIV e siècle. Peut-il y avoir un rapport utile de compréhension entre ces châles qui ont été des parures pour les privilégiés et la lecture des significations religieuses complexes de l’architecture de ces temples ? La raison est dans les faits, c’est avant tout « l’ambiguïté d’échelle » qui se retrouve dans le décor des palmettes cachemires, comme elle sert, on vient de le voir, dans les temples hindouistes, leurs principales valeurs d’expression. A la limite on pourrait dire : quelque soient les influences qui les ont générées.
7Cela commence au XVe, quand l’empire Moghol s’ établit solidement. Ne pas croire que les Palmettes de châles Cachemire « d’origine » aient été seulement ni d’abord un agencement compositionnel décoratif à base de rythmes et géométrie sous-jacente d’inspiration islamique ; même si à on ne doit pas écarter à propos de ces palmettes le jeu d’un syncrétisme partiel entre les motifs de style moghol islamique et ceux de l’hindouisme , plus échange d’influences probable avec le soufisme de Perse (1) - Non, elles sont d’abord l’équivalent de ce que la vie donne et elle seule : par exemple dans la croissance d’une branche de troène au printemps, il peut y avoir ensemble parmi les feuillages, en même temps, beaucoup plus petit et grand dans le même organisme vivant qui croît - 9. Les palmettes Cachemire sont cela avec la même ambiguïté d’échelle que celle développée dans l’architecture des temples hindouistes sur leurs côtes verticales de la base au sommet. Avant islamisation. ou islamisation prochaine de l’Inde déjà en route, la valeur d’expression est bien la même . Avec toujours quelque chose de vertigineux et toujours un effet de nombre.
Voyons cela de plus près . Cette “ambiguïté d’échelle” permet dans les Palmettes cachemires l’intégration organique, la cohérence tissée de leurs constituants aux différents niveaux d’organisation du tissu -8 et 9. Comme dans l’être vivant, ces très nombreux composants à la fois différenciés et à tendance auto similaire , feuilles et fleurs en foule serrée, se combinent, se trouvent intégrés ensemble à de multiples niveaux de complexité d’échelles différentes en chaque palmette et aussi dans les intervalles entre ces grands motifs. La distinction entre motifs et intervalles est d’ailleurs aussi incertaine que cette combinaison de plusieurs échelles dans la même configuration. Quatre échelles se trouvent ainsi intégrées. Dans le décor des palmettes des Châles cachemires le tissu est à la fois : 1 - à l’échelle de ses grands motifs, les palmettes prises en entier ( comme les temples si l’on considère l’ensemble de l’édifice) ; 2 - à l’échelle de ses innombrables motifs de petite taille ; beaucoup sont compris dans le grand motif de la palmette sans pour autant être assujettis à son échelle, autrement dit sans que ces petits motifs perdent leur autonomie et deviennent seulement des détails des palmettes , ils sont plus proche d’une reproduction autosimilaire à échelle réduite de celles-ci (comme sur le flanc des temples leurs reproductions nombreuses en miniature) ; 3 - à l’échelle des unités minimales du tissu du châle, les croisures de fils le plus souvent en sergé (v. 7) que l’on perçoit très bien dans les châles d’origine(comme les innombrables étagements horizontaux de pierre d’échelle souvent décroissante des temples) ; 4 - tout cela dans une totale cohérence nous donne le châle entier, la pièce entière de tissu « à l’échelle humaine » bientôt enveloppant le corps de qui le porte.
Une remarque : Les palmettes des châles d’origine jusqu’au XVIII e n’ont pas débordé à l’Ouest au-delà de la Perse, même pas en Egypte, ni en Ifriqiya arabo-musulmane …Elles étaient venues de façon originelle en Inde, au Cachemire sans souffrir de la conquête islamique ni de l’empire Moghol, dont l’influence sur elles n’était certainement pas en mesure d’évincer leur inspiration profondément hindouiste . Nulle part l’écriture et la calligraphie ne font irruption dans le décor des châles alors que c’est si souvent le cas parmi les rythmes des décors de l’Islam (1) . Et les châliers français des cachemires, comme ceux de Norwich et de Paisley en Angleterre, au XIXe , ne s’y sont pas trompés, eux-mêmes n’ont qu’exceptionnellement franchi cette limite. Le nombre et les rythmes, voire les vertiges, règnent toujours sans partage dans les châles cachemires -10 et 11.
10 11
(1) A noter justement que s’il existe une certaine ambiguïté d’échelle dans les décor d’inspiration soufi de la Perse séfévide (XVI e-XVIIIe) ce n’est pas entre les différents niveaux d’organisation du vivant ( cela je l’admettrais quand même en partie par prudence ) mais entre les calligraphies et d’innombrables motifs floraux ou végétaux, presque toujours très petits . La frontière est là . Même si le nombre est aussi présent que dans les châles cachemires . Exemple: la mosquée du Sheikh Lulfallah à Ispahan - v.1616.
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légendes des illustrations sur les châles cachemires
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7 Châle long tissé au Cachemire vers 1800 - tissage espouliné à base de sergé avec double crochetage - laine des chèvres du Tibet. - Quand les palmettes sont plus espacées, c’est la perception des croisures de fils de la structure tissée qui relaie le sentiment d’ambiguïté d’échelle : les fleurs de la palmette paraissent en comparaison presque géantes, la palmette ressemble à la sikhara d’un temple entier dont elle prend les proportions , et pour comble entre ces hauteurs et grandeurs des oiseaux sont là qui marchent au sol, ne volent pas, semblent prêts à picorer les croisures de fils…ou les fleurs et fruits, au sommet des palmettes ou à la base, elle-même oiseau. 8 Châle tissé au Cachemire vers 1810 - tissage « espouliné » à base de sergé avec double crochetage - laine des chèvres du Tibet. Avec la même ambiguïté d’échelle que celle développée dans l’architecture des temples hindouistes sur leurs côtes verticales de la base au sommet. La valeur d’expression est bien la même (1) . Avec toujours quelque chose de vertigineux et toujours un effet de nombre. 9 Ambiguïté d’échelle entre grands et petits motifs des feuillages, témoins de l’organisation de la croissance dans une branche de troène au printemps, il peut y avoir ensemble parmi les feuillages, en même temps, beaucoup plus petit et grand dans le même organisme vivant qui croît. - Les palmettes Cachemire sont cela, elles sont l’équivalent de ce que la vie donne et elle seule . 10 et 11 Châle long, France , vers 1860 - Tissage sur métier Jacquard, au lancé, découpé - Chaîne : 356, trame 164 cms
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Châles Cachemires, Métier jacquard et fractals
Le rapport entre le nombre, l’ambiguïté d’échelle dans les temples hindouistes et dans les châles cachemire, c’est l’intervention du métier jacquard qui l’éclaire le mieux, donc ce rapport est surtout à considérer avec les châles tissés en Europe à partir de 1820 environ au jacquard en France pour l’essentiel, parallèlement au goût de l’époque pour l’exotisme oriental et l’Inde . Tissage au jacquard et numérique ont retrouvé dans le dessin et le tissage des châles cachemires d’imitation quelque chose de l’inspiration de l’Inde ancienne, celle des temples brahmane et des inventeurs indiens des chiffres et des modes de calculs qui sont les nôtres, sans lesquels l’essor de la science moderne n’aurait pas été possible.
On peut aller un pas plus loin . Ce sont seulement ces châles cachemire d’imitation, au décor complexe à échelles multiples toujours foisonnant qui peuvent mener à une évocation de l’autosimilarité des objets fractals à différentes échelles . Des fractals je laisse de côté la fracture et le degré d’irrégularité. Mais il y a - comme dans les temples hindouistes anciens -dans les châles cachemire tissés en France au XIX e au métier jacquard le goût vertigineux de l’innombrable, de l’ambiguïté d’échelle et d’une certaine autosimilarité des motifs aux différentes échelles de leur déploiement, qui n’est pas sans annoncer l’autosimilarité des objets fractals aux différentes échelles de leur développement (v. 10 et 11) .
Une dernière proposition
Avec les palmettes des châles du Cachemire il n’y a pas seulement leur répétitivité en bordure du châle , il y a le nombre, il y a les déploiements foisonnants du nombre, que permet l’ambiguïté d’échelle de l’ensemble des motifs (1)..
La question de la correspondance réelle (ou supposée) entre l’ambiguïté d’échelle des temples hindouistes du VIIIe au XIIIe siècle et celle des motifs autosimilaires à différentes échelles des châles du Cachemire, cette question peut être considérée parallèlement à celle de la transmission des chiffres et des modes de numération et de calcul de l’Inde à l’Europe à travers l’islam et le monde Arabe du VIIIe au XVe / XVIIIe durant toute la période d’Islamisation de l’Inde. Les motifs des châles Cachemires d’origine du XVe au XVIII e siècle ou même d’Europe au XIXe, occupent, avec leur constante ambiguïté d’échelle la place de trait d’union entre ces deux ordres de la réalité, temples et châles d’une part , transmission des inventions numérales de l’Inde à l’Europe d’autre part . La vogue des châles et des motifs Cachemires en Europe à partir de la fin du XVIIIé jusqu’à aujourd’hui éclaire d’un jour particulier la question de cette transmission.
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On ne s’est jamais expliqué, dit-on, l’immense succès des palmettes cachemires plusieurs siècles durant, aujourd’hui compris, dans des civilisations très éloignées, de l’Inde et de la Perse à l’Occident (2) . J’espère qu’on aura trouvé ici en grande partie l’explication . Elle tient pour l’essentiel aux cohérences sensibles extrêmement vastes que favorise le recours à l’ambiguïté d’échelle mariée au multiple, au nombre, au numérique comme agent de mise en rapport avec le mouvement universel du cosmos, de la nature et de la vie ? Et cela valait, selon la philosophie religieuse de leur temps, dès l’architecture des temples hindouistes les plus remarquables, édifiés dans les siècles qui précèdent les premiers tissages de châles au Cachemire qu’ils annonçaient en un sens . Cette longue continuité a valeur de transmission et de guide pour une lecture du Langage du tissu et des civilisations bien plus ouverte qu’on ne la pratique d’ordinaire .
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(1) -A ce titre on peut les considérer comme des témoins d‘une transmission composite toujours en route des chiffres et des modes de numération de l’Inde hindouiste à l’islam moghol et arabe. Avec les palmettes du Cachemire nous ne sommes pas très loin de l’Arbre de Vie des Indiennes d’origine, ces toiles de coton peintes ou imprimées contemporaines des châles d’origine. A ceci près qu’il n’y a pas semblable déploiements foisonnant du nombre sur les Indiennes même s’il y règne aussi une certaine ambiguïté d’échelle, dans le motif de L’ Arbre de Vie lui-même.
(2) - Mais pourquoi ni vers la Chine ni vers le Japon. Pourquoi ?
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ENONCE des FAITS à prendre en compte
- Fin de l’empire Gupta qui à côté des cultes védiques tolérait le bouddhisme ( surtout de 210 à 474 et même 535) - Nouvelle période de morcellement de l’Inde ( comme après l’empire Maurya - de 322 à 187 av.JC - lui aussi favorable au bouddhisme surtout au III e siècle av. JC avec Asoka, l’empereur moine).
- Le brahmanisme (hindouisme) qui est une transformation du védisme, reprend et accroît son rayonnement à partir du VI e.. Le VII e est le siècle du Védanta (Oupanishad, Brahmasoutra, Bhaghavad Gita) qui prolonge les védas (dont les foyers avaient été le Pendjab et le Cachemire du XII e au III e av.JC) .
- Bientôt recul du bouddhime jusqu’à sa quasi disparition de l’Inde.
- L’astronome Brahmagupta ( 598 - 668) qui vit à Bhillamaila au Rajasthan écrit en 628 « le système révisé de Brahma » ou Brahma Siddhanta , il est le premier mathématicien à utiliser l’algèbre pour résoudre des problèmes astronomiques et calculer la durée de l’année ; il définit le zéro comme la soustraction d’un nombre par lui-même …
-Apparition dans le nord de l’Inde des modes de numération et de calcul du V e au VIII e : les chiffres de 1 à 9, le zéro, pour les opérations arithmétiques la règle de position et la base décimale sont pratiqués par les astronomes à partir du V e et largement pratiqués en Inde au VII e .- première inscription lapidaire des chiffres au IX e .
- On est au temps de la fin de l’empire perse sassanide .
- Importance du Cachemire au VIII e .- Au IX e le roi Avanti Vazman (855 - 883) fait construire des temples hindouistes à Avantipur . Le Cachemire a été souvent dans le passé un royaume échappant aux empires (Mauryas, Gupta … )
- Du VII - VIII e au XIII e édification des temples brahmanistes hindouistes les plus importants avec bien souvent ambiguïté d’échelle recherchée entre tout le monument , et les innombrables composants de l’architecture de la base au sommet , souvent de petits temples en miniatures reproduction du « sikhara », de l’édifice d’ensemble. Nombreux étagements de figures humaines (érotiques) traitées comme les multiples modules horizontaux étagés de la base au sommet, rédutes à la même échelle confondante et vertigineuse rapportée à celle du temple entier.
Les temples hindouistes sont un résumé du cosmos. Brahma c’est le branle universel cosmique y compris donc l’acte sexuel qui engendre la vie renouvelée et la transmigration. Le Brahmanisme est sans fondateur ni dogme .
- Le brahmanisme-hindouisme impliquait le système des castes certainement très développé dès le VII e mais présent déjà dans les védas. (L’Inde restait avant tout agricole. Ce système socioreligieux a toujours fonctionné assurant la domination de la caste des brahmanes et de celle des kshatriya (guerriers, rajhahs…) sur la masse rurale. Parfaitement inégalitaire, ce système marginalise les basses castes et plus encore les “intouchables horscastes”).
- Menace des conquérants musulmans depuis le nord ouest, dès les VIII e -X siècles : Mahmud de Ghazni pille le Pendjab et saccage des sanctuaires (+ en 1030) . - Progression de la conquête de l’Inde par l’Islam du X e au XV e - Mais la civilisation de l’Inde se développe sans souffrir du contact avec l’Islam
- XIV e nouvelle période de morcellement de l’Inde.
- Au XVe l’empire Moghol est établi et durera jusqu’à la fin du XVIII e, l’islamisation de l’Inde depuis le nord-ouest est en route . Ce qui ne veut pas dire assujettissement des cultes originaux de l’Inde à l’islam
- XV e, développement des tissages de châles au Cachemire - C’est probablement le sultan moghol Zayn al Abidin(dynastie timouride) qui fit alors venir du Turkestan l’habile tisserand légendaire, Nakad Begh qu’il installa au Cachemire. C’est sans doute lui qui monta un premier métier à tisser les châles avec le duvet des chèvres du Tibet (et peut-être aussi du Turkestan) ..
Les motifs de ces châles qui sont presque toujours marqués par l’ambiguïté d’échelle (entre grands motifs de palmettes et petits motifs foisonnants) sont de ce point de vue en correspondance avec l’ambiguïté d’échelle caractéristique des temples hindouistes , cependant ils pouvaient résulter aussi d’un échange d’influence entre l’inspiration de l’Inde hindouiste et une inspiration islamique venant de l’empire moghol ou venant de Perse, celle du soufisme séfévide . On a pu qualifier certains châles du Cachemire comme de style moghol.
- On est au temps de l’empire perse séfévide et du soufisme.
- L’importance des châles du Cachemire qui étaient en Inde une parure de prestige et de grand luxe, plus masculine que féminine, suit l’expansion de l’empire du Grand Moghol sur toute l’Inde jusqu’au sud . C’est dans ces conditions que ces châles séduisirent la clientèle européenne des compagnies des Indes Orientales fin XVIII é . Cette clientèle allait être surtout féminine. - Coïncidence significative : les chiffres « arabes » venus de l’Inde commencent à être utilisés en Occident seulement à partir des XIV e - X V e siècles).
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Patrice Hugues
27 mai 2009 à 9:46
Patrice, votre culture est… pharaonique….Je suis assez conquise par la comparaison temples/châles cachemire; les motifs en effet vivent et se superposent , multiplient leurs échelles sans se regarder l’un l’autre. Votre approche de l’hindouisme ( qui pour moi est vraiment abscons) est bien intéressante et je trouve toujours vrai de comparer architecture et tissage, c’est un de mes leit-motiv ! Bien à vous .
Claude
21 juin 2011 à 10:21
Monsieur,
Votre comparaison entre l’architecture cultuelle indienne et les châles du Cachemire par le biais des structures fractales qui en constituent le dénominateur commun est d’un grand intérêt et rejoint la remarque de l’architecte Gottfried Semper qui interprétait les tapisseries suspendues aux armatures des tentes nomades comme étant une forme d’architecture avant la lettre. Le seul regret, c’est la construction approximative des phrases et la difficulté de faire le lien que vous défendez entre cette architecture et le système de numération. Par ailleurs, qu’entendez-vous par “numérisée en binaire, comme tout tissus depuis l’origine” ? Mais votre texte a le mérite d’exister et vous avez sans doute mis le doigt sur une problématique d’un grand intérêt. Merci de la faire partager.
26 janvier 2016 à 0:36
Passionnée par votre article. J’ai hérité d’un châle qui vient probablement de la région de Thiers (63) qui ressemble au châle fig. 10 et 11. Cet objet qui dort dans un placard et me donne des soucis de conservation (mites) prend tout d’un coup un autre visage. Merci. Je suis prête à tout conseil pour le conserver en état ou le donner mais à qui ? J’en ai vu lors de manifestation folklorique en Auvergne.Merci